Peut-on apprendre à devenir charismatique ?

Arnaud Weiss
26 Avril 2021

Dans cet article découvrez : 

- La part d’inné et d’acquis - où pourquoi tout le monde peut devenir charismatique

- Les trois composantes clefs du charisme selon Olivia Fox Cabane

- Les leviers pour devenir plus charismatique

Le mythe du génie charismatique ?

Le charisme : talent inné ou compétence acquise ? Naît-on charismatique ou le devient-on ? Cette question est très importante car elle va au-delà du développement personnel. C’est une manifestation d’un biais terrible trop présent dans la mentalité française : le mythe du génie. Quand une femme ou un homme se distingue par ses accomplissements, il ou elle est positionné-e sur un piédestal. Cette personne n’est pas comme nous, elle est dotée d’un talent inné, c’est un génie. Son succès ne s’explique pas par son travail acharné.


C’est souvent un moyen de justifier notre propre manque d’initiative et de nous auto-limiter : sans ce talent inné que je n’ai pas, ce n’est même pas la peine d’essayer.


Einstein dans Comment je vois le monde déplorait ce raisonnement. Qualifié de génie, il soulignait avoir dédié “une vie d’efforts ininterrompus” à son travail. Un quidam lambda ne pouvait comprendre ses idées.

“Aucun destin ne justifierait une quelconque exaltation de quiconque. (...) Les hommes me témoignent une invraisemblable et excessive admiration et vénération. Je ne veux ni ne mérite rien. J’imagine la cause profonde mais chimérique de leur passion. Ils veulent comprendre les quelques idées que j’ai découvertes. Mais j’y ai consacré ma vie, toute une vie d’un effort ininterrompu.”

Personne ne peut nier l’existence de différences génétiques qui confèrent des avantages (ex : la taille au basketball). Mais comme l’a conclu la Grant Study, célèbre étude longitudinale menée par plusieurs générations de chercheurs d’Harvard, “l’acquis écrase l’inné” (culture trumps nature). Nos relations, notre travail, nos habitudes ont infiniment plus d’impact sur notre existence que nos caractéristiques héritées.


L’ouvrage de E. Vaillant qui dirigea la Grant Study pendant 30 ans. Il synthétise dans celui-ci ses principales découvertes. Il met notamment en évidence l’absence de corrélation entre le QI et le niveau de revenu.

Des découvertes récentes vont même plus loin : nos actions et notre environnement peuvent modifier nos gènes à très court terme. Le docteur Renato Paro de l’université de Bâle fait une découverte fracassante en 2009. En chauffant des œufs de drosophiles, il réussit à changer la couleur de leurs yeux du blanc au rouge et… ce caractère se transmettait ensuite à ses descendants ! C’est la preuve qu’un facteur exogène peut altérer nos gènes. En 2018, une étude tire les mêmes conclusions pour les humains : une famine a laissé des traces dans le patrimoine génétique d’une génération et ces variations se sont ensuite transmises à leur descendants (étude). Je digresse mais la question de l’inné et de l’acquis est vraiment passionnante. 


C’est dans ce contexte que l’ouvrage américain culte “The charisma myth” gagne à être connu sur le vieux continent. Dans son ouvrage, Fox Cabane détaille les ressorts du charisme qui sont tout sauf innés. Pour l’auteure, tout le monde peut apprendre à devenir charismatique. Les résultats de recherches récentes vont dans son sens : le charisme semble être le fruit d’une myriade de comportements non-verbaux (liens vers les publications scientifiques dans les références). La première étape pour nous est de comprendre la nature et les ressorts du charisme.


Le triptyque à l’origine du charisme : présence, pouvoir et chaleur


D’après le professeur Robert House de l’université de Wharton, le charisme “entraîne un plus haut degré d’engagement des autres, les dispose à consentir à des sacrifices personnels, et à aller au-delà de leurs objectifs.” Quelques illustrations :

- Les docteurs charismatiques sont plus demandés et leurs patients ont plus de chance de suivre le traitement prescrit

- Les collaborateurs charismatiques s’élèvent plus vite dans leur hiérarchie et ont en moyenne plus de responsabilités

- Les entrepreneurs charismatiques ont moins de difficultés à lever des fonds et attirer des talents dans leur entreprise


Somme toute, notre quête vers le charisme pourrait se résumer ainsi : comment devenir plus influent, plus convaincant et plus inspirant ?


Les travaux de Fox Cabane pour Harvard et le MIT l’ont amenée à détricoter les composantes du charisme, qui recoupe selon elle trois dimensions.


La présence

La présence se traduit par la capacité à communiquer à un interlocuteur qu’il est la chose la plus importante pour nous à cet instant T. Et donc être 100% focalisé sur la conversation. 

"Etre charismatique dépend de votre degré de présence à chaque interaction plus que votre temps disponible" O. F. Cabane


Combien de fois avez-vous eu la désagréable impression qu’une personne ne vous écoutait qu’à moitié ? Quand l’esprit vagabonde, les expressions faciales sont décalées d’une demi-seconde. Or, le cerveau humain est calibré pour percevoir les variations des expressions faciales en 17 millisecondes. De ce fait, il est impossible de faire semblant d’écouter quelqu’un. Une faible présence donne à notre interlocuteur le sentiment d’être relégué au second plan de nos priorités, les conséquences sur votre charisme sont dramatiques. 


À l’inverse, à l’ère des notifications et de l’économie de l’attention, ranger votre téléphone hors de vue et focaliser toute votre attention sur votre interlocuteur a un impact extraordinaire. La personne en face de vous se sent écoutée, valorisée, et vous monterez sacrément dans son estime. Anecdote intéressante : des chercheurs anglais ont montré que la seule présence d’un smartphone - même éteint - sur la table lors d’une conversation réduisait le niveau de confiance et d’intimité entre deux personnes (étude).

Le pouvoir

Cette dimension traduit l’influence que les autres pensent que vous pouvez avoir sur le monde. Elle s’incarne à travers votre statut social, votre force physique, votre intelligence, votre richesse. Elle s’exprime à travers la notoriété et les signaux externes, comme l’apparence. Il ne s’agit donc pas du pouvoir en soi, mais du pouvoir projeté.


La bienveillance

La bienveillance (warmth dans l’ouvrage en anglais), c’est la pureté de nos intentions envers les autres. C’est les signaux qui communiquent que nous nous inquiétons du sort de nos semblables, et que nous souhaitons le meilleur pour eux. Elle se traduit par nos qualités d’empathie, de sympathie, d’appréciation d’autrui.

Les trois piliers du charisme selon Fox Cabane

Le point commun de ces trois dimensions ? Toutes peuvent s’acquérir, mais surtout s’expriment à travers le langage non verbal. Pour Fox Cabane, il s’agit donc de développer nos capacités d’écoute, notre pouvoir, et notre bienveillance. Mais surtout de développer le langage corporel associé à ces caractéristiques.

Le langage corporel, vecteur principal du charisme

L’importance du langage corporel ne cesse d’être confirmée. Lors d’une expérience, les chercheurs du MIT Media Lab ont réussi à prédire le résultat d’une négociation commerciale dans 87% des cas, rien qu’en observant le langage non-verbal, sans connaître la teneur des échanges (étude).


Sans rentrer dans les détails, Fox Cabane donne plusieurs astuces pour afficher un langage non-verbal charismatique, qui communique une forte assurance :

- Réduisez la vitesse et la fréquence à laquelle vous acquiescez aux propos de vos interlocuteurs.

- Faites des pauses de deux secondes au début d’un discours ou avant de prendre la parole pour répondre à une question.

- Parlez lentement et baissez votre tonalité à la fin de vos phrases


Certains artifices existent, mais au final notre langage corporel est la simple traduction de notre état intérieur. Notre nervosité, nos tensions, nos incertitudes, notre confiance, se traduisent en millier de petits signes qui sont interprétés inconsciemment par ses interlocuteurs. Le langage corporel ne peut pas être feint. Comme pour l’écoute, il est très difficile de dissimuler ses véritables émotions. La clef du charisme est donc de maîtriser son état émotionnel et construire une confiance en soi inébranlable. Mais comment faire ? 


Les obstacles à la confiance en soi

Pour développer une confiance en soi à toute épreuve, il faut commencer par comprendre quels éléments la sapent. La lecture de Fox Cabane a été une révélation pour moi, comme je me suis retrouvé dans littéralement tous les éléments de sa typologie !

L’anxiété causée par l’incertitude. Une publication dans la célèbre revue Nature en 2016 a montré que l’humain préfère la certitude d’un résultat en sa défaveur (un choc électrique dans l’étude) plutôt qu’une incertitude qui laisse pourtant de la place à l’espoir. Les plus hauts niveaux de stress sont atteints lorsque l’incertitude est maximale. Combien de fois vous est-il arrivé de ressasser en boucle dans votre tête tous les scénarios possibles face à un événement futur incertain ?

Illustration de l’expérience mise en place pour mesurer le lien entre stress et incertitude

L’insatisfaction liée à la comparaison aux autres. Nous avons tendance naturellement à nous comparer aux autres dans toute situation. Dans Freakonomics, l’économiste Steven Levitt montre que le lien entre l’argent et le bonheur est essentiellement lié aux comparaisons avec les autres. Plus que le montant absolu de mon salaire, c’est son niveau relatif par rapport aux personnes de mon entourage qui me rend heureux ou malheureux. En d’autres termes, gagner 2 500 € par mois autour de personnes aux SMIC rend plus heureux que gagner 10 000 € par mois entouré de millionnaires ! Les comparaisons aux autres ont tendance à nous tourmenter et à saper notre confiance.

Le doute de soi et le syndrome de l’imposteur. Le doute de soi est la petite voix dans votre tête qui vous dit que vous n’y arriverez pas face à un objectif. Pire, c’est la croyance de ne fondamentalement pas avoir les capacités nécessaires pour relever ce défi. Dans sa forme la plus extrême, l’autocritique prend la forme du syndrome de l’imposteur qui vous amène à rejeter tout accomplissement personnel, à attribuer toutes vos réussites à des facteurs exogènes, à une erreur ou au hasard. Ces doutes de soi lapident votre confiance et votre langage corporel s’en ressent. Pire : vos performances sont impactées aussi par cette négativité. Premier élément pour se rassurer : le doute de soi est universel, 70% des personnes ont même éprouvé le syndrome de l’imposteur au moins une fois (étude). Par ailleurs, les personnes les plus brillantes sont les plus susceptibles d’être sujettes à ce sentiment.

“J’ai longtemps eu ce sentiment qu’à un moment la sécurité allait venir me voir pour m’expulser du studio” Michael Uslan, producteur reconnu notamment pour les films Batman

La rancune. Le ressentiment contre un proche ou un collègue peut devenir obsessionnel, dévorant. Il nuit fortement à votre bien-être et à votre confiance. Votre langage corporel en pâtit ainsi que votre niveau de charisme selon Olivia Fox Cabane. Nelson Mandela disait que “la rancune revient à s’administrer du poison et espérer que l’autre en ressente les effets” (Resentment is like drinking poison and waiting for the other person to die of it)

Maintenant que nous connaissons les obstacles qui s’opposent à notre confiance en nous, et donc à notre charisme, quels sont les leviers pour les surmonter ?

Vaincre ses angoisses et développer sa confiance

Le premier pas pour lutter contre les phénomènes précités est de les accepter puis de bien les identifier.


C’est ce que les psychologues anglo-saxons appellent le labelling. Le fait de mettre une étiquette sur un phénomène émotionnel diminue mécaniquement son effet. L’approche suggérée par Fox Cabane :

Acceptez vos émotions

1. Rappelez-vous que les émotions négatives sont normales et naturelles.

2. Acceptez vos sentiments, n'essayez pas de les repousser ni d'argumenter avec eux, cela ne fera qu'empirer les choses.

3. Pensez à une personne que vous admirez et qui est probablement passée par une situation similaire.

4. Voyez vos émotions négatives comme un fardeau partagé par beaucoup. Vous faites partie d'une communauté d'êtres humains qui éprouvent ce même sentiment en ce moment même.

Etiquetez-les pour les neutraliser

1. Imaginez vos pensées négatives écrites sur un mur en graffiti (“Je ne vais pas y arriver…”)

2. Mettez une étiquette dessus : anxiété causée par l’incertitude, doute de soi…

3. Prenez de la distance, parlez de vous à la troisième personne "X se sent mal à l'aise parce que...". Faites un zoom arrière et replacez-vous et vos sentiments dans la vaste immensité de l'univers et de toutes les choses qui se passent sur terre.

4. Envisagez le pire scénario, quelle pourrait être la pire issue ?

5. Pensez aux fois précédentes où vous avez ressenti cela et où vous avez fini par vous en sortir.

Ces exercices de pensée sont des automatismes à utiliser au quotidien quand vous vous sentez troublés. Le but est de développer une forme de défense naturelle face aux situations qui sapent votre confiance et donc votre charisme. 


Fox Cabane donne également deux exercices pour réussir ses grands évènements (une présentation en public par exemple) qui repose sur un levier connu : la visualisation.


Se projeter dans le succès pour être plus charismatique grâce à la visualisation

La visualisation est très efficace et repose sur l’incapacité du cerveau à distinguer efficacement la réalité de la fiction. Face à un film d’horreur nous sommes terrifiés alors même que nous savons qu’il s’agit d’une projection. Cette capacité est puissante au point que lorsque nous nous sentons anxieux, il suffit de s’imaginer en train de serrer dans nos bras un proche pour se sentir plus détendu (le corps libère de l'ocytocine, neuromodulateur relaxant). Fermez les yeux et essayez, vous verrez, ça marche !


La première manière d’utiliser la visualisation consiste à se remémorer aussi fidèlement que possible ses succès passés pour gagner en confiance. Les étapes à suivre :

1. Fermez les yeux et détendez-vous

2. Rappelez-vous une expérience passée où vous vous êtes senti absolument triomphant - par exemple le jour où vous avez gagné un concours ou un prix.

3. Entendez les bruits dans la salle : les murmures d'approbation, les applaudissements...

4. Visualisez les sourires chaleureux et l’admiration des gens.

5. Par-dessus tout, sentez la chaude lueur de confiance qui monte en vous et embrassez pleinement ce sentiment.

La deuxième manière d’utiliser la visualisation consiste à se projeter dans le succès. Cette technique, très utilisée dans le sport à haut niveau (notamment par Michael Phelps), revient à visualiser le challenge à venir et s’imaginer le réussir. Voici quelques exemples :


- Juste avant de faire une présentation, projetez-vous  sur scène, sûr de vous, tout le monde vous écoute et acquiesce. Visualisez le triomphe que l’auditoire vous réserve à l’issue de votre intervention.

- Avant une réunion importante, imaginez votre posture assurée, le sourire sur le visage de vos interlocuteurs lorsqu'ils reconnaissent la qualité de votre travail, les poignées de main chaleureuses à la fin

Michael Phelps visualisait la “nage parfaite” chaque soir pendant les semaines précédant une compétition importante

Devenir à l’aise avec le malaise

Le dernier conseil que donne Fox Cabane est d’apprendre à être à l’aise avec les situations inattendues ou inconfortables. Quand vous avez la capacité de gérer l’inattendu, vous devenez inébranlable et charismatique. 


Pour cela, une seule solution : pratiquez ! Pour s’améliorer il faut sortir de sa zone de confort, du prévisible, le plus souvent possible.

- Discutez avec des inconnus dans les files d’attente ou dans les transports en commun.

- Maintenez un silence le plus longtemps possible avant de parler dans une réunion ou une conversation.

- Créez un contact visuel avec un parfait étranger dans une soirée et allez lui parler.


Tous ces exercices élargissent notre zone de confort et vous permettent de rester maître de nos émotions face à l’inconnu. Pour creuser ce sujet, consultez le site de Jia Jiang qui liste 100 exercices à réaliser. Marqué par un traumatisme d’enfance, Jia s’est engagé dans une “thérapie du rejet”: chaque jour il réalise une action le mettant dans une situation inconfortable pour devenir hermétique au malaise. Mes préférées : quand il essaye d’emprunter 100€ à un parfait inconnu ou encore il demande à quelqu’un s’il peut venir jouer au football dans son jardin.

Le livre de Jia Jang raconte son épopée pour s’affranchir de la peur de l’inattendu

Fox Cabane donne encore de nombreux conseils et grilles de lecture que je n’ai malheureusement pas la place de décrire ici. Je vous encourage vraiment à lire ce livre et à défaut d’essayer, d’adopter les techniques décrites dans l’article au quotidien. 


Références

-Grant Study of Adult Development, 1938-2000, George E. Vaillant; Charles C. McArthur; and Arlie Bock, 2010 (lien & data)

-About Combs, Notches, and Tumors: Epigenetics Meets Signaling. Developmental Cell 17: 440-442 G & R Paro Shit (2009)  (lien vers l’article sur researgate)

-DNA methylation as a mediator of the association between prenatal adversity and risk factors for metabolic disease in adulthood (lien vers l’article, en anglais)

-Sur le lien entre charisme et comportements non-verbaux

-“A laboratory study of charismatic leadership” Jane MHowell & Peter JFros 1989 (lien)

-“Leadership, leadership, wherefore art thou leadership?” - Charlie G Brooks Jr - 2004 (lien)

-“Stirring the hearts of followers: Charismatic leadership as the transferal of affect” Erez, Amir Misangyi, Vilmos F. Johnson, Diane E. LePine, Marcie A. Halverson, Kent C. 2008 (lien)

-“Can you connect with me now? How the presence of mobile communication technology influences face-to-face conversation quality” Andrew K. Przybylski & Netta Weinstein 2012 (lien)

-“Honest Signals : How They Shape Our World” - Alex Pentland 2008 (lien)

-“Computations of uncertainty mediate acute stress responses in humans” - Archy O. de Berker, Robb B. Rutledge, Christoph Mathys, Louise Marshall, Gemma F. Cross, Raymond J. Dolan & Sven Bestmann 2016 (lien)

-Freakonomics, Steven Levitt & Stephen J. Dubner.

-“The imposter phenomenon in high achieving women: Dynamics and therapeutic intervention” Clance, P. R., & Imes, S. A. - 1978 (lien)