Pourquoi l’incompétence augmente la confiance : l'effet Dunning-Kruger

Arnaud Weiss
16 Décembre 2021

J’évoquais dans mon dernier article ces statistiques issues de l’ouvrage de Taleb sur les Cygnes noirs : 94% des suédois évaluent faire partie des 50% des meilleurs conducteurs. 84% des français estiment que leurs performances sexuelles les placent dans la première moitié des amants de l’Hexagone.

La confiance en soi et en ses capacités est une qualité glorifiée et recherchée dans notre société. Elle est notamment associée à un haut niveau de compétence et à un statut social élevé.

Les psychologues sociaux David Dunning et Justin Kruger ont montré dans une étude célèbre que le lien entre confiance et compétence n’est pas si évident. Dans cet article, je synthétise leurs découvertes et les compléments apportés par d’autres chercheurs.

L'effet Dunning-Kruger ou biais de surconfiance

En 1995, l’américain McArthur Weeler attaqua deux banques à visage découvert après s’être aspergé tout le corps de jus de citron. Il fut, à son grand étonnement, arrêté. En effet, il était persuadé qu’à la manière de l’encre invisible, le jus de citron le rendrait indétectable à l’oeil nu.


C’est en étudiant son cas que Dunning et Kruger s’intéressent au rapport entre l’assurance et la compétence. En 1999, lors d’une expérience, ils demandèrent à des étudiants d’estimer leur niveau dans plusieurs disciplines (logique, grammaire…). Ensuite, ils les soumirent à des tests pour évaluer leur niveau réel.

Ils observèrent alors un double phénomène. Tout d’abord, les étudiants aux résultats les plus faibles s’étaient largement sur-estimés. A l’inverse, les meilleurs étudiants s’étaient sous-évalués. L’effet Dunning-Kruger était né. 


Il peut se résumer ainsi : les personnes avec une faible compétence dans une tâche surestiment leurs capacités, et les personnes avec une forte compétence sous-estiment leurs capacités.

Schéma caricaturant le processus d’apprentissage inspiré du graphique de dispersion XY des données de l’étude de 1999. Source : Arjuna Filips, CC


Cette conclusion vient avec plusieurs corollaires. Tout d’abord, les personnes incompétentes ne sont pas capables de reconnaître qui l’est véritablement. Ensuite, les personnes très compétentes sont susceptibles de penser à tort que des tâches aisées pour elles le sont aussi pour les autres.


Les conclusions de Dunning et Kruger font encore aujourd’hui l'objet de débats dans la communauté scientifique résumés dans cet article. Néanmoins, ils pointent un trait humain déjà relevé par Charles Darwin dans son ouvrage fondateur “De l’origine des espèces” : « l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance ».

Les enseignements à en tirer pour les entreprises

Dans l’univers professionnel, le biais de surconfiance peut mener à des situations ubuesques où des personnes incompétentes mais très assertives sont promues au détriment de véritables experts plus humbles. Ces promotions créent un fort sentiment d’injustice chez les collaborateurs. C’est un véritable challenge pour les équipes RH qui doivent être attentives à ce risque.


Autre écueil, les travaux des personnes extrêmement confiantes sont moins susceptibles d’être remis en question. Leurs pairs ont tendance à les accepter sans les challenger ou les questionner. Nous observons même des phénomènes d’auto-censure où un collaborateur n’ose pas se manifester car une erreur lui semble inconcevable au regard du niveau de confiance extrêmement élevé de son interlocuteur. 


Dans un précédent poste, un de mes managers diplômé de l’université Polytechnique était toujours absolument sûr de lui et de ses capacités. Au point qu’un jour il me présenta un calcul mathématique grossièrement faux, mais je n’osais pas le lui dire, persuadé que je devais avoir manqué quelque chose.


Le biais de surconfiance pose donc un double risque pour les entreprises : celui de désengager sa force de travail et celui de censurer une confrontation d’idées essentielle à la qualité du travail.


Références