Êtes-vous aussi rationnel que vous le pensez ? Thinking fast and slow - Partie 1

Arnaud Weiss
24 Mai 2021

Dans les années 70, le futur prix Nobel d’économie Daniel Kahneman et le chercheur Amos Tversky cherchent à comprendre les décisions irrationnelles prises dans le secteur économique. Ils théorisent alors le concept de “biais cognitif” et mettent en évidence notre profonde irrationalité. Je me suis toujours représenté comme quelqu’un de cartésien et logique. La lecture de Système 1, Système 2 (Thinking Fast and Slow en anglais) a ébranlé mes certitudes. C’est certainement le livre qui m’a le plus servi en tant qu’entrepreneur. Je vous en livre ici une modeste synthèse enrichie de mes commentaires.

Dans cet article découvrez :

- Les deux systèmes qui coexistent dans votre cerveau pour traiter l’information

- Pourquoi il ne faut pas (toujours) se fier à vos intuitions

- L’enseignement le plus important de l’œuvre de Kahneman

Une nouvelle blessure narcissique pour l’humanité


Dans Introduction à la psychanalyse, Freud explique que l’humanité a subi trois blessures narcissiques :

- L’observation par Copernic de la modeste place de la terre qui n’est pas au centre de l’univers.

- La découverte par Darwin de l’ascendance animale de l’Homo Sapiens, qui n’est qu’une espèce parmi les autres.

- Et enfin, la mise en évidence du rôle de l’inconscient par le mouvement psychanalytique, “le moi n’est pas maître dans sa propre maison”, Sigmund Freud.

Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours.” - Sigmund Freud (extrait complet)

Un demi-siècle plus tard, Kahneman et Tversky infligent une quatrième blessure narcissique à l’humanité en mettant en évidence notre difficulté à faire des choix rationnels. Mais quelle est l’origine de celle-ci ?

Deux modes de pensée antagonistes


Deux systèmes coexistent dans notre cerveau pour traiter l’information et prendre des décisions.


Le premier (fast thinking) est le mode de pensée intuitif, émotionnel et automatique. Vous l’utilisez au quotidien sans vous en rendre compte pour naviguer dans notre environnement. Il est inconscient.

Pensez à toutes les micro-décisions que vous prenez chaque jour sans vous en rendre compte : choisir vos vêtements ou vous rendre au bureau. Le système 1 est aussi responsable de vos réflexes inconscients comme éviter une balle qui vous est lancée au visage.


A l’inverse, le deuxième mode de raisonnement (slow thinking) correspond à un effort de réflexion délibéré et conscient. Il intervient lorsque nous devons résoudre des problèmes complexes ou nouveaux.


Prenons un exemple concret. Essayez de résoudre la multiplication 24 x 12. La réponse ne vous vient pas naturellement, vous devez faire un effort conscient pour obtenir la réponse. Kahneman a découvert que cet effort est même visible ! Pendant un bref instant, vos pupilles se sont dilatées à l’usage du système 2 du fait de l’adrénaline (source).


Le corps humain cherche toujours à minimiser l’effort cognitif pour accomplir une tâche (voir notre article sur les habitudes à ce sujet). C’est pourquoi même face à des problèmes complexes, le système 1 s’enclenche automatiquement et propose une solution intuitive. Le problème ? Cette solution est très souvent fausse. Le système 1 est sujet à des erreurs systématiques quand il s’agit de questions logiques et statistiques.

Face à des problèmes logiques ou statistiques, notre intuition est fausse

Prenons un exemple concret avec un court problème. Lisez les trois instructions ci-dessous.

- Une batte et une balle coûtent 11€ à elles deux

- Sachant que la batte coûte 10€ de plus que la balle

- Combien coûte la balle ?

Quelle est la première réponse qui vous vient à l’esprit ? Notez la, et maintenant prenez une feuille de papier pour résoudre le problème. 


Votre système 1 vous a hurlé la réponse facile : 1€. Or en faisant un effort de réflexion vous vous êtes rendus compte que ce n’était pas possible. Si la balle vaut 1€, la batte vaut 11€ et la somme des deux est 12€ et non pas 11€. La bonne réponse est donc 0,50€.


Dans une étude portant sur plusieurs milliers d’élèves, 50% d’entre eux donnaient une mauvaise réponse au sein des prestigieuses universités d’Harvard, du MIT et de Princeton. Pour les universités moins sélectives, ce taux montait à 80%.


Pas encore convaincus ? Voici d’autres exemples issus du Cognitive Reflexion Test de Shane Frederick (lien) :

- S'il faut 5 minutes à 5 machines pour fabriquer 5 gadgets, combien de temps faudrait-il à 100 machines pour fabriquer 100 gadgets ?

- Dans une mare, il y a des nénuphars. Chaque jour, la taille de la parcelle couverte par les nénuphars double. S'il faut 48 jours pour que la les nénuphars recouvrent tout le lac, combien de temps faut-il pour qu'ils en recouvrent la moitié ?

Le premier enseignement clef de Thinking Fast and Slow est donc le suivant : si vous voulez prendre des décisions rationnelles et éclairées, vous devez aller systématiquement au-delà de votre première intuition. Faites un (douloureux) effort conscient pour analyser la situation et peser les différents arguments.


La volonté est-elle une faculté infinie ou bien dispose-t-on d’un réservoir limité ? Est-il possible que la simple vue d’un billet de banque vous rende plus égoïste ? Est-il rationnel de rester au cinéma même si le film ne nous plaît pas ? Je répondrai à ces questions dans le prochain article où nous explorerons les “biais cognitifs”.

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Références

Introduction à la psychanalyse - Sigmund Freud, 1916 (extrait)

Pupillary Heart Rate and Skin Resistance Changes During a Mental Task - Bernard Tursky, David Shapiro, Andrew Crider, Daniel Kahneman,1969 (source)

Cognitive Reflection and Decision Making - Shane Frederick, 2005 (lien)

Attention in delay of gratification - W. Mischel, E. Ebbesen, 1970 (lien)